MICHAEL MURRAY
Professeur et Interprète de GuitareLe doigté à la guitare
Pourquoi les partitions indiquent-elles le doigté?
Les partitions indiquent un doigté parce que l’éditeur veut aider le musicien qui apprend une composition musicale à la jouer bien. Souvent les musiciens qui essaient d’apprendre cette musique sont des interprètes moins expérimentés que l’éditeur, d’où son effort pour leurs faciliter la tâche en indiquant le bon doigté qu’ils n’auraient peut-être pas découvert par eux-mêmes. En pratique, le doigté indiqué peut aider ou nuire au guitariste à apprendre et à bien jouer une pièce, selon le savoir-faire de l’éditeur à donner un doigté de qualité.
Quels sont les avantages et les désavantages de partitions indiquant le doigté?
La partition doigtée offre l’avantage de vous offrir de nombreuses propositions sur comment doigter une pièce pour les deux mains. Dans certains cas l’éditeur aura trouvé un doigté particulièrement ingénieux, bien que pas très évident, qui fera en sorte que la musique sera beaucoup plus facile à jouer que si vous aviez doigté la pièce vous-même. En revanche, la partition doigtée constitue un désavantage si un guitariste l’utilise sans considérer un doigté qu’il aurait pu trouver lui-même et sans questionner si le doigté indiqué est réellement le meilleur possible pour un passage particulier. Autre élément négatif, changer le doigté d’une pièce peut s’avérer fastidieux du fait qu’on doive se donner la peine de rayer l’ancien doigté et recopier le nouveau.
Dans quelle mesure le doigté indiqué sur les partitions est-il fiable?
La qualité des doigtés varie beaucoup d’une édition à l’autre et l’habileté de l’éditeur à doigter la musique. Beaucoup d’éditions offrent des doigtés médiocres parce que les éditeurs eux-mêmes sont peu doués pour ce travail. Souvent les guitaristes qui publient des compositions musicales sont des érudits de la guitare avant d’être des interprètes de l’instrument et ils sont moins habiles à doigter un morceau qu’un concertiste ne le serait. Le doigté indiqué n’est pas à rejeter pour autant, mais vous ne devriez pas l’accepter aveuglément non plus, ou sans rechercher de meilleures solutions.
Un doigté peut-il convenir à un guitariste et pas à un autre?
Oui. Par ailleurs, il ne s’agit pas seulement de distinguer entre un bon et un mauvais doigté puisque parfois des doigtés intrinsèquement bons ne conviennent tout simplement pas à certains guitaristes à cause de la forme variable des mains (entre autres la grandeur des mains). Rajoutons qu’un doigté correct peut également ne pas convenir à l’interprétation voulue d’un morceau par un guitariste. Il va de soi que l’éditeur va doigter la musique qu’il publie selon ce qui fonctionne pour lui, de telle manière que ce doigté conviendra aux guitaristes qui ont des mains qui présentent une morphologie semblable à la sienne, mais disconviendra à ceux qui ont des mains d’une morphologie différente. Il est également possible qu’un éditeur favorise parfois certains types d’interprétation musicale qui reproduisent un son doux, legato et chantant dans la mélodie, tandis qu’un autre préférera que toutes les voix soient entendues au même volume ou que les changements de couleur de ton soient le facteur prépondérant dans la manière de doigter un morceau. Si votre interprétation correspond à celle envisagée par l’éditeur son doigté va vous convenir, mais si vous voulez interpréter le morceau autrement vous devrez sans doute vous résoudre à modifier le doigté en conséquence.
Devrais-je m’en tenir au doigté donné sur la partition?
Vous devriez faire l’essai de tout doigté indiqué dans la partition, ainsi qu’à tout autre doigté auquel vous pouvez penser. Si la partition propose un doigté qui semble difficile, donnez-vous la peine de retrouver le raisonnement sur lequel il repose et s’il est sensé avant de le rejeter. Cependant, ne soyez pas étonné si vous ne trouvez pas une bonne raison pour un doigté particulier. Il n’est pas rare que des partitions présentent des doigtés illogiques et non musicaux. Mais à tous le moins accordez au doigté proposé le bénéfice du doute et tentez de découvrir pourquoi le morceau a été doigté ainsi. Souvent les partitions indiquent, outre un doigté correct, un doigté qui fonctionne pour l’auteur mais pas pour vous (différente morphologie des mains), un doigté fondé sur une approche musicale ou technique différente, ou tout simplement un doigté techniquement inadéquat ou non musical. Selon votre niveau d’interprétation il peut y avoir de bons doigtés mais qui sont trop exigeants en regard de votre compétence technique actuelle. Dans un tel cas je permettrai souvent à un étudiant de recourir à un doigté moins optimal mais plus facile à exécuter, de telle sorte qu’il arrivera à apprendre la pièce dans un temps raisonnable. Cependant, je donnerai aussi quelques exercices qui lui permettront plus tard de d’adopter un doigté similaire à celui qu’aujourd’hui il trouve trop difficile.
Devrais-je m’en tenir strictement au doigté que me donne mon professeur?
Le doigté d’une partition est définitif alors que vous pouvez discuter avec votre professeur le pour et le contre du doigté qu’il propose. D’ailleurs un éditeur de musique ne peut savoir et est indifférent à ce que vous utilisiez ou pas son doigté, mais votre professeur au contraire va assurément remarquer si vous rejetez celui qu’il favorise. Tout comme les éditeurs de musique, les professeurs sont d’une habileté variable pour doigter des pièces et ils ont tendance à préférer un doigté qui fonctionne le mieux pour la forme de leurs mains, mais qui ne vous conviendra pas nécessairement. Bien que vous devriez étudier avec un professeur qui est un meilleur joueur que vous et qui peut mieux doigter des morceaux que vous ne pouvez le faire, ceci ne signifie aucunement que votre professeur est infaillible ou que tous les doigtés qu’il propose sont supérieurs aux vôtres. Certains professeurs s’attendent à ce que vous les imitiez peu importe les particularités de vos mains ou vos gouts musicaux, et souvent sans soumettre leurs doigtés à une analyse critique. Bien que je pense que cette approche soit didactiquement incorrecte, un professeur démontrant un tel penchant peut cependant être excellent en ce qui a trait à d’autres aspects de l’enseignement de la guitare et il est sans doute contre-productif de changer de professeur uniquement parce que le vôtre insiste quelque peu que vous adoptiez ses doigtés. L’approche préférable demeure qu’un professeur vous offre un doigté tout en exigeant seulement la bonne exécution d’un passage, que vous utilisiez son doigté ou pas. Par exemple, il se peut que vous jouiez un passage comprenant une gamme d’une manière très peu legato et que votre professeur suggère un doigté différent qu’il croit permettra de jouer ce passage d’une manière plus liée. Cependant, vous pouvez toujours préférer votre ancien doigté et penser qu’avec un peu plus de travail vous arriverez à un son davantage lié. Un peu plus tard le professeur et l’étudiant devront évaluer honnêtement et objectivement si le passage est maintenant joué legato ou s’il demeure nécessaire d’adopter un autre doigté. Tout comme certains professeurs se montrent un peu trop convaincus de la pertinence de leur doigté, souvent des étudiants s’obstinent à conserver un doigté qui ne fonctionne pas, uniquement parce qu’ils y sont habitués, ou parce qu’ils n’entendent pas et ne réalisent pas que ce doigté est inadéquat. Un nouveau doigté est presque toujours plus difficile que l’ancien au début et il se peut que l’étudiant doive répéter un bout de temps avant que sa supériorité devienne plus évidente.
Qu’en est-il du doigté proposé par le compositeur de la pièce?
Un compositeur a parfois doigté lui-même ses compositions. Dans ce cas il est préférable que l’éditeur s’abstienne d’indiquer son propre doigté pour s’assurer que l’interprète puisse bien identifier le doigté suggéré par le compositeur lui-même, mais bien des partitions sont doigtées sans que cette distinction soit possible. Beaucoup d’éditions de musique originales sont disponibles en ligne et il est possible de vérifier si le doigté indiqué sur votre partition est celui fourni par le compositeur. Tout comme les éditeurs et les professeurs de musique, certains compositeurs étaient plus habiles que d’autres à doigter leur musique, sans compter que dans le cas de musique ancienne la technique d’interprétation et la guitare elle-même ont beaucoup changées au cours des siècles, à un point tel que certains doigtés originaux qui étaient logiques à l’époque ne sont plus appropriés sur un instrument moderne et dans la perspective de la technique guitaristique actuelle. Malgré tout, un bon nombre de compositeurs anciens étaient d’excellents guitaristes et je trouve souvent que leur doigté est d’une grande qualité. Dans ces occasions où je me suis retrouvé devant une partition dont j’étais mécontent du doigté offert par l’éditeur et que j’ai pu retrouver l’édition d’origine doigtée par le compositeur, le doigté de ce dernier était presque toujours d’une qualité supérieure à celui de l’éditeur moderne. Je ne crois pas qu’on doive suivre aveuglément le doigté d’un compositeur, mais on devrait assurément se montrer encore plus prudent avant de s’écarter du doigté de ce dernier, plus prudent en fait que lorsqu’on s’éloigne du doigté d’un éditeur ou d’un professeur. Après tout le compositeur a écrit la pièce et a donc une compréhension approfondie de la manière qu’il voulait que sa musique soit entendue.
Conseils sur la manière de doigter la musique:
Main droite
– Jouez toutes les notes de la voix de basse avec le pouce. Le pouce offre un son unique et plus lourd que les autres doigts et cela aide à distinguer la basse des autres lignes musicales jouées par les doigts. Ceci est d’autant plus important lorsque la mélodie est portée par la basse. Mais même lorsque la basse n’est qu’un accompagnement, on veut normalement entendre distinctement les lignes musicales dans la tradition classique. Lorsqu’une édition est doigtée correctement, la basse devrait être différenciée des autres lignes musicales sur la partition du fait que les notes apparaissent avec une queue descendante. Néanmoins on trouve de nombreux exemples où les éditeurs ont correctement transcrit les notes basses sur la partition et pourtant ils ont doigté celles-ci avec le i (l’index) lorsque la basse est rendue par les cordes aiguës, de telle sorte que ses notes de la basse présentent un timbre faible, ce qui conduit au caractère inégal de la mélodie dans la basse. L’index peut bien sûr attaquer la corde plus énergiquement pour compenser, mais il est presque toujours préférable de jouer cette note de basse naturellement avec le pouce.
– Ne craignez pas d’utiliser deux fois de suite le même doigt et de ne pas alterner lorsqu’il y a avantage à le faire. En tant que professeur j’ai un grand intérêt à donner à mes étudiants un haut niveau d’expertise technique et j’accorde beaucoup importance à l’alternance correcte des doigts. Cependant, de nombreux éditeurs établissent le doigté avec un souci exagéré de l’alternance. Des pièces mélodiques plus lentes peuvent parfois ne pas exiger un pincement alterné. L’utilisation du même doigt pour jouer une mélodie chantante lente confère une uniformité tonale que ne permet pas l’attaque alternée avec des doigts différents, bien que certaines mélodies soient plus agréables à entendre si on pratique l’alternance des doigts. Il peut s’avérer plus sûr et parfois plus facile d’utiliser le même doigt pour jouer des notes successives sur la même corde. Sans aucun doute à certaines vitesses le principe de l’alternance doit s’appliquer, mais comme toutes les règles de doigté, on devrait recourir à l’alternance lorsque cela est souhaitable plutôt que d’y recourir par principe et partout automatiquement.
– Évitez les doigtés compliqués et qui apparaissent qu’une fois dans le morceau. Je vois souvent des doigtés à trois doigts compliqués qui sont proposés parce que dans un passage particulier il n’est pas possible de continuer l’alternance à deux doigts sans rencontrer une difficulté d’exécution, tel un mauvais croisement de corde (passer à une corde plus aiguë avec un doigté qui renverse l’ordre naturel des doigts comme m-i ou a-m). Un doigté à trois doigts n’est pas mauvais en soi et dans les passages appropriés ces doigtés ont leur place, mais ils peuvent aussi être compliqués et source d’insécurité et il est fréquemment plus facile et exact de simplement répéter un doigt ou de s’accommoder du mauvais croisement de cordes. Généralement, un doigté à trois doigts répété plusieurs fois de suite est davantage justifié que si celui-ci conduit à plusieurs suites de doigtés aléatoires qui sont pires que le problème à corriger. En effet, je vois souvent des doigtés avec l’alternance i – m qui font appel à ce que j’appelle l’introduction du a aléatoire, c’est-à-dire un a glissé par l’éditeur dans le beau milieu d’une alternance i – m pour éviter une difficulté d’exécution, comme un mauvais croisement de cordes. Si l’introduction de ce a est bel et bien requis parce qu’il va résoudre un grand nombre de difficultés de doigté, il est sans doute justifié. Par contre, si plusieurs a sont glissés un peu au hasard dans la composition, alors il vaut mieux accepter de rompre l’alternance i – m. Sans compter que l’effort de mémorisation additionnel nécessaire pour s’assurer que le a sera joué au bon endroit va souvent faire en sorte que le passage sera plus difficile à exécuter qu’il ne le serait même avec le mauvais croisement de corde.
Main gauche
– Essayez toujours de trouver un doigté commun entre deux accords, c’est-à-dire gardez le même doigt sur la même note en passant d’un accord à un autre, même si vous devez changer tous les autres doigts de l’accord. Ceci vous aidera immensément. Un exemple simple de cette pratique est le passage de l’accord LA mineur à l’accord DO, alors que le premier et le deuxième doigt jouent les mêmes notes dans chaque accord. Cela peut sembler évident dans cet exemple, mais il est surprenant de constater comment souvent des guitaristes négligent un doigté commun qui pourtant faciliterait les changements d’accord.
– Essayez de garder le même doigt sur la même corde dans les changements de position. Ceci rendra les changements de position et d’accord beaucoup plus sûrs.
– Essayez de maintenir certaines formes des doigts dans les changements d’accord, par exemple, lorsque le deuxième doigt est sur la même case que le troisième doigt, mais une corde plus basse et que cette forme peut être maintenue pour jouer le prochain accord sur différentes cordes (MI à LA ou MI mineur à LA mineur).
– Une considération musicale de première importance est de garder une mélodie lyrique sur une même corde ou des cordes adjacentes. Beaucoup d’édition vont doigter un passage mélodique sur plusieurs cordes pour faciliter les changements de position. Bien que cette pratique vise à faciliter l’exécution, souvent la tonalité mélodique en souffre. En d’autres mots, les tons seront arpégés plutôt que de rendre la mélodie chantante. Bien qu’il faille se préoccuper de faciliter l’exécution, les changements de corde doivent être minimisés. Jouer une mélodie sur une seule corde, ou à tout le moins sur des cordes adjacentes, va accroître l’effet legato de la mélodie alors que de sauter d’une corde à l’autre rendra la ligne musicale moins mélodique.
Conclusion
Tenez toujours compte du doigté de la partition. Tentez de découvrir le raisonnement qui sous-tend ce doigté. Même si vous jugez que le doigté est bon, essayez d’en trouver un meilleur. Si vous considérez que le doigté proposé est mauvais efforcez-vous de faire mieux. Vérifiez qu’il n’y ait pas une raison technique qui fait que vous ne pouvez exécuter ce doigté de façon satisfaisante. Cependant, ne craignez pas de remettre en question la logique et le mérite musical ou technique qui sous-tend le doigté, et recherchez des solutions de rechange. Assurez-vous qu’en présence d’un passage difficile, le doigté que vous choisissez est plus facile et plus musical que tout autre. Vérifiez que la solution que vous apportez pour résoudre un problème de doigté ne rend pas la composition plus difficile à jouer et moins acceptable sur le plan de la musicalité.